9 July 2017

Des hommes sans femmes – Haruki Murakami

Drive my car

Puis sa femme avait été atteinte d'un cancer de l'utérus et avait succombé à la maladie. Un certain temps après sa mort, Kafuku avait eu quelques liaisons, mais il n'avait jamais retrouvé le bonheur familier qu'il retrouvait avec son épouse. Il n'avait ressenti avec ces femmes qu'un tiède sentiment de déjà-vu, comme s'il reproduisait des expériences qu'il avait connues dans le passé.

Yesterday

– C'est dur pour toi ?

– Dur pour moi ?

– De te retrouver brusquement seul, après avoir été en couple.

– Quelquefois, oui, répondis-je franchement.

– Mais peut-être que vivre ce genre d'expérience douloureuse – la solitude, par exemple –, c'est nécessaire quand on est jeune, non ? ça aide à grandir...

– Tu crois ?

– Comme les arbres qui doivent survivre à des hivers rigoureux pour devenir plus gros et plus puissants. Quand le climat est toujours doux et clément, ils ne peuvent pas développer d'anneaux de croissance.

Un organe indépendant

Pour une raison inconnue, Tokai, depuis tout jeune, n’avait jamais eu le projet de se marier ou de fonder une famille. Il était étrangement convaincu que la vie conjugale n’était pas faite pour lui. Aussi, d’emblée, s’était-il efforcé d’éviter les femmes en quête d’un mari – si séduisantes qu’elles aient été par ailleurs. Du coup, les femmes avec qui il entretenait des relations étaient soit mariées, soit pourvues d’un petit ami en titre. Tant qu’il s’en tenait à ce principe, aucune de ses partenaires ne songerait à se marier avec lui. Pour le dire plus simplement, Tokai n’était pour elles qu’un agréable “number 2”, un “petit ami des jours de pluie” bien pratique, ou encore une “passage commode”. Mais pour Tokai, en vérité, ce type d’aventures, c’était à la fois sa grande fierté et son plus grand plaisir. Car les relations qui réclamaient des partenaires un partage de responsabilités lui donnaient un désagréable sentiment d'instabilité.

Le fait que ces femmes aient des relations intimes avec d'autres que lui ne le tourmentait pas particulièrement. Une histoire de chair, rien de plus, estimait Tokai (point de vue médical), ce que pensaient aussi, en général, les femmes elles-mêmes (point de vue féminin). Tokai jugeait suffisant qu'elles lui prêtent une attention exclusive quand ils étaient ensemble. Ce qu'elles pensaient ou faisaient par ailleurs, le reste du temps, c'était leur problème ; cela ne le regardait nullement. Fourrer son nez là-dedans aurait été absurde.

Un de ses plus grands bonheurs consistait à sortir dîner avec une femme, boire du bon vin en sa compagnie, mener une conversation amusante. Le sexe n'était que le prolongement de ces plaisirs, absolument pas le but ultime. Ce qu'il recherchait avant tout, c'était des rencontres intimes et intellectuelles avec des femmes séduisantes. Ce qui arriverait ensuite, eh bien, on verrait plus tard. C'est pourquoi ses partenaires étaient naturelles avec lui, le temps qu'elles passaient en sa compagnie était léger, insouciant, et elles se sentaient parfaitement à l’aise. Mon opinion est que beaucoup de femmes de par le monde (surtout les plus charmantes) se lassent des hommes trop avides de sexe.

Je trouve parfois regrettable qu'il n'ait pas compté avec combien de femmes il avait noué ce genre de relations au cours de presque trente années. Mais, par nature, Tokai n'était pas un homme que les records intéressaient. Il était avant tout en quête de qualité. Il n’était pas non plus obsédé par l'apparence extérieure. Du moment qu'elles n’avaient pas de gros défaut susceptible d'éveiller son intérêt professionnel, qu’elles n'étaient pas ennuyeuses au point de le faire bâiller rien qu'en les regardant, il était partant. Après tout, si quelqu'un n'était pas satisfait de son apparences et s’il allongeait une somme d'argent conséquente, presque tout de lui pouvait être modifié (en tant que spécialiste, il connaissait un grand nombre d'exemples étonnants dans ce domaine). Il appréciait surtout les femmes intelligentes, à l'esprit vif, ayant le sens de l'humour. Le laissaient de marbre celles qui manquaient de conversation et étaient incapables d'avoir leur propre opinion, même si elles étaient très belles. Aucune intervention chirurgicale ne pourrait améliorer leurs capacités intellectuelles. Un de ses plus grands plaisirs était de bavarder avec une femme d’esprit au cours d’un repas, ou bien, au lit, de lui raconter des anecdotes joyeuses et frivoles tout en la caressant. Ces moments-là étaient pour lui un véritable trésor.

(...)

Pour Tokai, avoir simultanément deux, voire trois girlfriends était tout à fait naturel. Ces femmes ayant chacune un mari ou un amoureux en titre, lesquels étaient prioritaires dans leur emploi du temps, il était évident qu'elles n'occupaient qu'une toute petite partie de ses heures. Par conséquent, il n'estimait pas déloyal d'avoir plusieurs maîtresses en même temps – chose qu'il leur cachait, bien entendu. Il faisait son possible pour ne pas mentir, mais il ne dévoilait aucune information sans nécessité. Tels étaient ses principes.

Il avait à son service, depuis de longues années, un secrétaire dévoué qui, tel un contrôleur aérien expérimenté, se chargeait de son planning compliqué. Parmi ses tâches lui revenait le soin d'organiser, outre les rendez-vous professionnels de son patron, ses rencontres d’ordre privé. Il était au courant, dans les moindres détails, de la vie personnelle pittoresque de Tokai et s'acquittalt de ses fonctions scrupuleusement, de manière purement administrative, sans observations inutiles ni mimiques accablées à propos de ce surcroît de travail. Il régulait avec habileté le flux des rendez-vous amoureux afin qu'aucun chevauchement ne se produise. Il avait même en tête le dates du cycle menstruel de chacune des maîtresses du moment – chose difficile à croire, il est vrai.

(...)

Le Dr Tokai connut ainsi, durant trente années, une vie chanceuse. C’est long, trente ans. Et puis, un jour, il tomba amoureux. Amoureux fou. Comme un vieux renard rusé pris au piège. Jamais il n'aurait cru cela possible.

(...)

“Dites-moi, me demanda-t-il un jour, vous pensez qu’on peut décider de ne pas aimer quelqu’un trop intensément ?”

(...)

“Concrètement, comment vous y prenez-vous ? lui demandai-je.

– De toutes les façons possibles. J'ai essayé diverses techniques. Mais, en premier lieu, je m'efforce de penser à tout ce qu'il y a de négatif chez elle. Je me représente tous ses défauts ou ses faiblesses et j'en dresse la liste. Et puis je me récite cette liste encore et encore, comme un mantra. Je me répète que je ne dois pas aimer cette femme plus que de raison.

– Ça marche ?

– Non, pas très bien, répondit Tokai en secouant la tête. D'abord, je n'arrive pas à lui trouver tellement de défauts. Ensuite, ces défauts me paraissent extrêmement séduisants, en réalité. Et enfin, je ne sais plus distinguer ce qui est trop accablant pour mon coeur de ce qui ne l’est pas. Je ne discerne plus les limites, tout devient flou. C’est la première fois que je vis une chose pareille.”

(...)

Sachant que l'écriture était mon métier, il ne se bornait pas à énoncer des banalités et, peu à peu, il se confia à moi sur des questions plus personnelles. Peut-être estimait-il qu’un écrivain, tel un thérapeute ou un prêtre, avait le droit (voire l'obligation) d'écouter les confessions des autres. Il n'était du reste pas le seul à penser ainsi. J'avais fait cette expérience bien des fois auparavant. Mais il se trouve que je ne déteste pas écouter les confidences d'autrui, et, en outre, ce que me racontait le Dr Tokai était passionnant. Honnête et franc, il était capable de s'observer d'un œil objectif. Il ne craignait pas non plus de dévoiler ses faiblesses à un tiers. Un penchant que partagent bien peu d'hommes de par le monde.

“J'ai connu de nombreuses femmes qui étaient plus jolies et mieux faites qu'elle, plus spirituelles, et qui avaient davantage de goût. Mais ces comparaisons sont totalement dénuées de sens. Parce que (j'ignore pourquoi) elle est pour moi quelqu'un de spécial. Peut-être pourrais-je parler à son propos d'un être de synthèse ? Toutes ses caractéristiques sont comme reliées et regroupées en une sorte de noyau. Mais si on les extrayait, aucune ne pourrait être mesurée ou analysée, jugée moins bonne ou meilleure. C’est l’être possédant ce noyau qui m’attire de manière irrésistible. Comme un puissant aimant. Au-delà de la raison.”

(...)

“Oui, bien entendu, répondit-il. Vous avez raison. S’engager dans la vie sans rien, c'est sûrement très dur. En ce sens, j'ai bénéficié d'avantages que bien d’autres n’ont pas. Mais après avoir atteint un certain âge, bâti un certain style de vie et acquis une certaine position dans la société, c’est aussi très éprouvant de nourrir des doutes aussi graves sur sa valeur en tant qu’homme. L'existence que l'on a menée jusque-là n’a quasiment plus de sens, elle vous semble vaine. Quand on est jeune, il reste encore la possibilité de changer, il y a encore de l'espoir. Mais, à mon âge, on éprouve douloureusement le poids de son passé. Et on ne peut pas se refaire aussi facilement.

– Ce livre sur les camps de concentration a donc été l’élément qui a déclenché ces sombres pensées.

– Oui, il m'a atteint d'une manière étrange. C'est un choc que j'ai subi personnellement. À cela s'ajoute le fait que mon avenir avec cette femme est aussi incertain, ce qui m'a précipité depuis un certain temps dans un état de dépression latente – la crise de la cinquantaine. Et je m’interroge sans relâche : Qu'est-ce que je suis, au fond ? Mais j’ai beau ressasser constamment ces mêmes idées, aucune porte de sortie ne m’apparaît. Je ne fais que tourner en rond. J’ai perdu tout intérêt pour ce que, auparavant, je faisais avec plaisir. Je n’ai plus le goût de pratiquer un sport ou d’acheter des vêtements. Et même m’asseoir au piano me pèse. La nourriture ne me dit plus rien. Toutes mes pensées sont focalisées sur elle. Elle seule hante mon cerveau. Et même lorsque je suis au travail, je ne songe qu’à elle. Il m’arrive de prononcer son prénom, involontairement.

Des hommes sans femmes

Un jour, soudain, vous êtes devenus des hommes sans femmes. Ce jour arrive sans qu'il y ait eu auparavant la moindre allusion ou le moindre avertissement, sans que vous ayez éprouvé de pressentiment ou de prémonition, sans toc-toc, sans petits toussotements. Vous avez tourné à un angle et vous savez déjà que c'est arrivé. Mais impossible de revenir en arrière. Dès ce tournant pris, voici le seul monde qui sera le vôtre désormais. Un monde que l'on appellera celui des “hommes sans femmes”. Un pluriel froid et sans fin.

Seuls les hommes sans femmes peuvent comprendre à quel point il est déchirant et horriblement triste d’être un homme sans femmes.

(...)

Il est très facile de devenir des hommes sans femmes. On a juste besoin d’aimer profondément une femme et que celle-ci disparaisse ensuite. En général (comme vous le savez), elles auront astucieusement été emmenées par de robustes marins. Ils les auront enjôlées avec de belles paroles et entraînées en un tournemain jusqu’à Marseille ou jusqu’en Côte d’Ivoire. Nous ne pouvons presque rien faire face à cela. Il arrive aussi que les marins n’y soient pour rien, et qu’elles se suppriment volontairement. Face à cela aussi, nous sommes impuissants. Et les marins également.

D’une manière ou d’une autre, vous voilà devenus des hommes sans femmes. En l’espace d’un instant. Et dès que vous êtes un homme sans femmes, les couleurs de la solitude vous pénètrent le corps. Comme du vin rouge renversé sur un tapis aux teintes claires. Si compétent que vous soyez en travaux ménagers, vous aurez un mal fou à enlever cette tache. Elle finira peut-être par pâlir avec le temps, mais au bout du compte elle demeurera là pour toujours, jusqu’à votre dernier souffle. Elle possède une véritable qualification en tant que tache, et, à ce titre, elle a parfois officiellement voix au chapitre. Il ne vous reste plus qu’à passer votre vie en compagnie de ce léger changement de couleur et de ses contours flous.

(...)

Chaque fois que je suis seul au volant, voici ce que j'imagine : alors que j’attends à un feu, une jeune femme inconnue ouvre soudain la portière et s'assoit à côté de moi. Sans dire un mot, sans me regarder, elle insère la cassette de “White Lovers” dans le lecteur. Il m'arrive d'en rêver aussi. Mais, bien sûr, ce genre de chose n'arrive pas dans la réalité.

(...)

C'est ça, perdre une femme. Et perdre une femme signifie aussi qu’on a perdu toutes les femmes. Et que, de la sorte, nous sommes devenus des hommes sans femmes.


Men Without Women – Haruki Murakami (English version)

Drive my car

After she contracted uterine cancer and, in what seemed a mere instant later, passed away, he had been lucky enough to meet several women who, in the natural course of things, he had taken to bed. Yet he never experienced the same intimate joy with them that he had with his wife. All he felt was a mild sense of déjà vu, as if he were reenacting a scene from his past.

Yesterday

“Is it hard on you?” she asked.

“Is what hard?”

“Suddenly being on your own after being a couple.”

“Sometimes,” I said honestly.

“But maybe going through that kind of tough, lonely experience is necessary when you’re young? Part of the process of growing up?”

“You think so?”

“The way surviving hard winters makes a tree grow stronger, the growth rings inside it tighter.”

An independent organ

For some reason, ever since he was young, Tokai never wanted to get married and have a family. He was quite positive he wasn’t suited for married life. So no matter how appealing the woman, if she was on the lookout for a permanent mate he kept his distance. As a result, most of the women he chose as girlfriends were either already married or had another primary boyfriend. As long as he maintained this arrangement, none of his partners had the desire to marry him. To put a finer point on it, Tokai was always a casual number-two lover, a convenient rainy-day boyfriend, or else a handy partner for a casual fling. And truthfully, Tokai was in his element in this kind of relationship, which for him was the most comfortable way to be with women. Any other arrangement—the kind where the woman sought a real partner—made him uncomfortable and on edge.

It didn’t particularly bother him that these women made love to men other than him. Physical relations were, after all, just physical. As a doctor, this is what Tokai believed, and the women he dated felt the same. Tokai just hoped that when he was with a woman, she thought only of him. What she did or thought outside of their time together was her own business, not something for him to speculate about. Meddling in their lives outside the confines of their affair was out of the question.

For Tokai, having dinner with these women, drinking wine with them, and talking together was a distinct pleasure. Sex was merely an added pleasure, but never the ultimate goal. What he sought most was an intimate, intellectual connection with a number of attractive women. What came after that just happened. Because of this, women found themselves naturally attracted to him, enjoyed spending time with him, and often took the initiative. Personally, I think most women in the world (particularly the really attractive ones) are fed up with men who are always panting to get them into bed.

Tokai sometimes thought he should have kept track of how many women he’d had this sort of relationship with over the course of nearly thirty years. But he was never all that interested in quantity. Quality of experience was the goal. And he wasn’t that particular about a woman’s physical appearance. As long as there wasn’t some major flaw that aroused his professional interest, and as long as her looks weren’t so boring as to make him yawn, that was enough. If you were worried about your looks, and had enough money saved up, you could alter your appearance pretty much any way you liked (as a specialist in that field, he knew of numerous remarkable examples). What he valued instead were bright, quick-witted women with a sense of humor. If a woman was very beautiful but had nothing to say, or no opinions of her own, Tokai became discouraged. No operation could ever improve a woman’s intellectual skills. Having a pleasant conversation over dinner with an intelligent woman, or lingering over small talk while holding one another in bed – these were the moments he treasured.

(...)

Tokai never found it odd to have two or three girlfriends simultaneously. The women were either married or had other boyfriends, so their schedules took precedence, which cut into the time he could spend with them. He felt that having several girlfriends was only natural, and never saw it as an act of infidelity. Still, he never told any of them about the others, instead retaining a strict need-to-know policy.

At Tokai’s clinic he had an accomplished male secretary who had worked for him for years. This man coordinated Tokai’s complicated schedule like a veteran air traffic controller. Not only did he arrange Tokai’s work schedule but, over time, the secretary had inherited the task of managing Tokai’s personal dating schedule. He knew every colorful detail of Tokai’s private life but never spoke about it, never looked upset about being kept so busy, and went about his work efficiently. He was good at traffic control, so Tokai wasn’t involved in any near disasters. It’s a little hard to believe at first, but he even kept track of his girlfriends’ menstrual schedules.

(...)

At any rate, Tokai’s so-called lucky life continued for some thirty years. A long time, when you think about it. But one day, quite unexpectedly, he fell deeply in love. Like a clever fox suddenly finds itself caught in a trap.

(...)

“Mr. Tanimura,” he asked me one time, have “you ever tried really hard not to love somebody too much?”

(...)

“What are you doing, exactly, so that you don’t love her too much?”

“I’ve tried all kinds of things,” he said. “But it all boils down to intentionally thinking negative thoughts about her as much as I can. I mentally list as many of her defects as I can come up with – her imperfections, I should say. And I repeat these over and over in my head like a mantra, convincing myself not to love this woman more than I should.”

“Has it worked?”

“No, not so well.” Tokai shook his head. “First of all, I couldn’t come up with many negative things about her. And there’s the fact that I find even those negative qualities attractive. And another thing is I can’t tell myself what’s too much for me, and what isn’t. This is the first time in my life I’ve ever had these kind of senseless feelings.”

(...)

When he found out I was a writer he gradually began to reveal more personal details. He may have felt that, like therapists and religious leaders, writers had a legitimate right (or duty) to hear people’s confessions. I’ve had the same experience with many other people. Nevertheless, I’ve always enjoyed listening, and I never lost interest in what he had to tell me. He was open and honest and self-reflective. And he wasn’t all that afraid of revealing his weaknesses to others—an unusual quality.

This is what he told me. “I’ve been out with lots of women who are much prettier than her, better built, with better taste, and more intelligent. But those comparisons are meaningless. Because to me she is someone special. A ‘complete presence,’ I guess you could call it. All of her qualities are tightly bound into one core. You can’t separate each individual quality to measure and analyze it, to say it’s better or worse than the same quality in someone else. It’s what’s in her core that attracts me so strongly. Like a powerful magnet. It’s beyond logic.”

(...)

“You’re right,” Tokai said. “You’re absolutely right. Starting life with nothing must be hard. In that sense, I’m more blessed than most. Still, when you get to a certain age, and have created your own lifestyle and social standing, and only then start having grave doubts about your value as a human being, that becomes pretty trying too, in a different sense. The life I’ve lived till now seems pointless, a waste. If I were younger it’d be possible to change, and I’d still have hope. But at my age the past weighs me down. It’s not so easy to start over.”

“And you started to seriously think about these things after reading the book about the Nazi concentration camps?” I asked.

“Yes. The book shocked me. On top of this, it was unclear what future this woman and I have, and the combination gave me a mild case of middle-aged depression. Who in the world am I? I’ve been incessantly asking myself this. But no matter how much I ask, I can’t find an answer. I just keep going around in circles. Things that I used to enjoy I now find boring. I don’t feel like exercising, or buying clothes. It’s too much trouble to sit down at the piano anymore. I don’t even feel much like eating. I just sit there and think about her. Even when I’m with a client, my mind’s full of her. I’m afraid I might even blurt out her name.”

Men Without Women

Suddenly one day you become Men Without Women. That day comes to you completely out of the blue, without the faintest of warnings or hints beforehand. No premonitions or foreboding, no knocks or clearing of throats. Turn a corner and you know you’re already there. But by then there’s no going back. Once you round that bend, that is the only world you can possibly inhabit. In that world you are called “Men Without Women.” Always a relentlessly frigid plural.

Only Men Without Women can comprehend how painful, how heartbreaking, it is to become one.

(...)

It’s quite easy to become Men Without Women. You love a woman deeply, and then she goes off somewhere. That’s all it takes. Most of the time (as I’m sure you’re well aware) it’s crafty sailors who take them away. They sweet-talk them into going with them, then carry them off to Marseilles or the Ivory Coast. And there’s hardly anything we can do about it. Or else the women have nothing to do with sailors, and take their own lives. And there’s very little we can do about that, too. Not even the sailors can do a thing.

In any case, that’s how you become Men Without Women. Before you even know it. And once you’ve become Men Without Women, loneliness seeps deep down inside your body, like a red-wine stain on a pastel carpet. No matter how many home ec books you study, getting rid of that stain isn’t easy. The stain might fade a bit over time, but it will still remain, as a stain, until the day you draw your final breath. It has the right to be a stain, the right to make the occasional, public, stain-like pronouncement. And you are left to live the rest of your life with the gradual spread of that color, with that ambiguous outline.

(...)

The thought hits me each time I go for a drive. While I’m waiting for the light to change, I half hope a girl I’ve never laid eyes on before will suddenly yank open the passenger door, slip inside, and, without a word or even a glance, jam a cassette with “A Summer Place” into the radio. I’ve even dreamed about it. Of course, it never happens.

(...)

That’s what it’s like to lose a woman. And at a certain time, losing one woman means losing all women. That’s how we become Men Without Women.