29 October 2012

There is only bad luck in not being loved: there is tragedy in not loving

Following yesterday's post and quote, I read Albert Camus's collection of essays in L'Eté (The Summer), published in 1954. Here is my selection of quotes, some of which I freely translated into English (happy to get your suggestions to improve them) from the longer French quotes I add afterwards. I particularly enjoyed the three essays (out of the eight) that I quote from below.

From Retour à Tipasa:

I read my age on faces I recognised without being able to name them. I merely knew that they had been young with me and that they were no longer so.

I tried at least to find again that strength, hitherto always reliable, that helped me to accept what “is”, once I had admitted that I could not change it. 

When one had had the chance to love deeply, life is spent in trying to find again that intensity and that light. 

A day comes when, having become more stiff, nothing fills one with wonder anymore, everything is known, life is spent restarting. (...) On some mornings, around the corner, a delightful dew falls on one’s heart and then evaporates. But its coolness still remains and it is that coolness, always, that the heart demands. I had to set out again.

For there is only bad luck in not being loved: there is tragedy in not loving.

In the depths of Winter I finally learned there was in me an invincible Summer.

From Petit guide pour les villes sans passé:

Does one establish the list of the charms of a very much loved woman? No, one loves her as a whole, if I may say, with one or two precise tender aspects, such as a favourite way to pull her face or a manner to shake her head. I thus have with Algeria a long affair which probably will never end, and which prevents me from being completely clairvoyant towards her. Simply, by taking care, one can manage to distinguish, somewhat in the abstract, the detail of what one loves in whom one loves.

From L'Enigme:

No man can tell what he is. But it happens that he can say what he is not. The one who still searches, we want him to be over with. A thousand voices already inform him what he has found and yet he knows it, that is not it. Search and let talk? Of course. But one needs to defend oneself every now and then. I do not know what I am looking for, I name it carefully, I withdraw, I repeat myself, I move forward and I move backwards. I am enjoined however to give the names, or the name, once and for all. I then rear up; what is named, isn’t that already lost? This is at least what I can try to say.


Original (longer) version of the quotes in French:

De Retour à Tipasa :

Devant la mer noyée, je marchais, j'attendais, dans cet Alger de décembre qui restait pour moi la ville des étés. J’avais fui la nuit d’Europe, l'hiver des visages. Mais la ville des étés elle-même s'était vidée de ses rires et ne m'offrait que des dos ronds et luisants. Le soir, dans les cafés violemment éclairés où je me réfugiais, je lisais mon âge sur des visages que je reconnaissais sans pouvoir les nommer. Je savais seulement que ceux-là avaient été jeunes avec moi, et qu'ils ne l'étaient plus.

Désorienté, marchant dans la campagne solitaire et mouillée, j'essayais au moins de retrouver cette force, jusqu'à présent fidèle, qui m'aide à accepter ce qui est, quand une fois j'ai reconnu que je ne pouvais le changer. Et je ne pouvais, en effet, remonter le cours du temps, redonner au monde le visage que j'avais aimé et qui avait disparu en un jour, longtemps auparavant.

Il avait fallu se mettre en règle avec la nuit : la beauté du jour n'était qu'un souvenir.

Quand une fois on a eu la chance d'aimer fortement, la vie se passe à chercher de nouveau cette ardeur et cette lumière. Le renoncement à la beauté et au bonheur sensuel qui lui est attaché, le service exclusif du malheur, demande une grandeur qui me manque. 

Un jour vient où, à force de raideur, plus rien n'émerveille, tout est connu, la vie se passe à recommencer. C'est le temps de l'exil, de la vie sèche, des âmes mortes. Pour revivre, il faut une grâce, l'oubli de soi ou une patrie. Certains matins, au détour d'une rue, une délicieuse rosée tombe sur le cœur puis s'évapore. Mais la fraîcheur demeure encore et c'est elle toujours, que le cœur exige. Il me fallut partir à nouveau.

À midi sur les pentes à demi sableuses et couvertes d'héliotropes comme d'une écume qu'auraient laissée en se retirant les vagues furieuses des derniers jours, je regardais la mer qui, à cette heure, se soulevait à peine d'un mouvement épuisé et je rassasiais les deux soifs qu'on ne peut tromper longtemps sans que l'être se dessèche, je veux dire aimer et admirer. Car il y a seulement de la malchance à n'être pas aimé : il y a du malheur à ne point aimer.

Mais pour empêcher que la justice se racornisse, beau fruit orange qui ne contient qu'une pulpe amère et sèche, je redécouvrais à Tipasa qu'il fallait garder intactes en soi une fraîcheur, une source de joie, aimer le jour qui échappe à l'injustice, et retourner au combat avec cette lumière conquise. Je retrouvais ici l'ancienne beauté, un ciel jeune, et je mesurais ma chance, comprenant enfin que dans les pires années de notre folie le souvenir de ce ciel ne m'avait jamais quitté. C'était lui qui pour finir m'avait empêché de désespérer.

Au milieu de l'hiver, j'apprenais enfin qu'il y avait en moi un été invincible.

De Petit guide pour les villes sans passé :

Est-ce qu'on fait la nomenclature des charmes d'une femme très aimée ? Non, on l'aime en bloc, si j'ose dire, avec un ou deux attendrissements précis, qui touchent à une moue favorite ou à une façon de secouer la tête. J'ai ainsi avec l'Algérie une longue liaison qui sans doute n'en finira jamais, et qui m'empêche d'être tout à fait clairvoyant à son égard. Simplement, à force d'application, on peut arriver à distinguer, dans l'abstrait en quelque sorte, le détail de ce qu'on aime dans qui on aime.

De L'Enigme :

Nul homme ne peut dire ce qu'il est. Mais il arrive qu'il puisse dire ce qu'il n’est pas. Celui qui cherche encore, on veut qu'il ait conclu. Mille voix lui annoncent déjà ce qu'il a trouvé et pourtant, il le sait, ce n'est pas cela. Cherchez et laissez dire ? Bien sûr. Mais il faut, de loin en loin, se défendre. Je ne sais pas ce que je cherche, je le nomme avec prudence, je me dédis, je me répète, j'avance et je recule. On m'enjoint pourtant de donner les noms, ou le nom, une fois pour toutes. Je me cabre alors ; ce qui est nommé, n'est-il pas déjà perdu ? Voilà du moins ce que je puis essayer de dire.

Personne n'ira d'ailleurs jusqu'à penser que si vous refusez le dîner de ce directeur, cela peut-être parce qu'en effet vous ne l'estimez pas, mais aussi parce que vous craignez plus que tout au monde de vous ennuyer - et quoi de plus ennuyeux qu'un diner bien parisien ? 

L'idée que tout écrivain écrit forcément sur lui-même et se peint dans ses livres est une des puérilités que le romantisme nous a léguées. Il n'est pas du tout exclu, au contraire, qu'un artiste s'intéresse d'abord aux autres, ou à son époque, ou à des mythes familiers. Si même il lui arrive de se mettre en scène, on peut tenir pour exceptionnel qu'il parle de ce qu'il est réellement. Les œuvres d'un homme retracent souvent l'histoire de ses nostalgies ou de ses tentations, presque jamais sa propre histoire, surtout lorsqu'elles prétendent à être autobiographiques. Aucun homme n'a jamais osé se peindre tel qu'il est.

Au centre de notre œuvre, fût-elle noire, rayonne un soleil inépuisable, le même qui crie aujourd'hui à travers la plaine et les collines.

Photo credit: Albert Camus, (c) Henri Cartier-Bresson, Magnum Photos, 1944